Premier extrait


Dis seulement une parole…


Christophe Sambre : " Tombé dans l'imaginaire autour d'une table de jeux de rôles, j'ai très vite pris goût à créer mes propres univers. De fanzines en fanzines, Mâchicoulis, puis Rêves, j'ai fait mes premières armes en matière de nouvelles et d'écriture, puis je me suis lancé avec ambition dans l'écriture de romans. Mais l'écriture s'apprend, elle se travaille et se nourrit d'expérience, et depuis un an, je reviens à mes premiers amours avec des nouvelles pour des appels à textes et pour le site Mauxdauteurs (www.mauxdauteurs.com) sur lequel je publie régulièrement mes textes. Aujourd'hui, mes projets me mènent côté cinéma, l'adaptation en scénario de mon roman " Serial ! ", et toujours sur les chemins de la fantasy, avec un roman et des nouvelles en cours d'écriture. " Christophe Sambre a déjà publié une nouvelle " Ecrire... Ecrire... " dans un recueil publié début 2003 aux éditions de l'Ixcea, et une autre " L'héritage " prévue dans Luna Fatalis de décembre 2003.

Penché au-dessus du vieux puits, le regard rempli de compassion, je contemple ton image qui frémit sur l'onde cristalline. Je souris. Comme tu as raison de me répéter inlassablement que la mort n'est qu'une vaste plaisanterie. Chaque soir qu'Il nous laisse, c'est devant une corolle d'hydromel que nous partageons notre amertume. Je t'entends encore me dire : " Mon cher Gabriel, la mort est une épreuve plus pathétique encore que la vie ! Qui l'aurait cru ? " Souvent, mes silences t'agacent. Tu me fustiges du regard et, quand je me réfugie derrière ce devoir de réserve qu'Il m'impose, tu grognes pour me signifier ta lassitude. Comme je t'aime mon ami…
Ton visage tremble, chahuté par les bulles d'air qui remontent des profondeurs. Aujourd'hui est un grand jour, même si tu ne le sais pas encore. Sur mes pommettes, je sens des larmes s'enfuir ; mes yeux brillent tant je me réjouis d'assister enfin à ta rédemption.
A ton réveil, tu ne retrouves aucun de tes repères : ton présent n'a plus de passé, et tu n'as aucune idée de ton futur. Plus qu'à un cauchemar, c'est à un long moment de non-vie que tu dois te préparer. La révolte est inutile, tu le sais mieux que quiconque ; pourtant, ton corps et ta volonté s'insurgent. Tu cherches à repousser les vagues de réalité qui t'envahissent, tu combats ces images et ces sons qui te donnent la nausée. Tu voudrais juste te réveiller, admirer l'aube naissante et sourire au bonheur de la vie. Mais ici, c'est Lui qui mène le jeu ; et les règles en sont strictes, aussi incontournables que le cycle des saisons.
Tu ne comprends rien à Ses caprices. Pour une raison que tu ignores, à chaque fois que ton passé s'éloigne, que tu touches enfin au bonheur, Il te rappelle à sa volonté et te renvoie sur Terre. Assistance, protection, réconfort, des missions qui toutes flattent Sa bienveillance. Pourquoi toi ? Pourquoi maintenant ? Mon ami, c'est lui le Seigneur ; je crois qu'il n'y a rien d'autre à ajouter.
Prisonnier de ce monde perverti dont tu t'étais cru définitivement libéré, tu ouvres un œil et tu grimaces…
Tu poses un pied par terre, puis le second. Que tes membres te semblent lourds, inadaptés. Alors que la croyance populaire soutient que l'on n'oublie jamais le maniement des corps, nous savons tous les deux que la réalité est tout autre. L'éther est bien plus facile à déchiffrer que les lois de la mécanique. Même si tes jambes te soutiennent sans trembler, ce n'est qu'après quelques minutes d'exercice que tu retrouves la totalité de tes facultés. Rassuré, tu commences à t'intéresser au monde qui t'entoure et tes pensées se tournent vers ton apparence. Que t'a-t-Il donc réservé cette fois ? Jeune ? Vieux ? Blond ou brun ? Ces jeux t'énervent autant qu'ils L'amusent.
Tu traînes ton corps encore engourdi jusqu'à la salle de bain et tu t'arrêtes face au miroir. Comment a-t-Il pu te faire ça ? Pourquoi ? Ce visage, froissé par l'âge et la solitude, ce n'est plus le tien ; tu l'as renié ce fameux soir où il t'a éclaté en pleine figure. Face à ces rides, à ces paupières tombantes, tu ne ressens rien de plus qu'une effroyable envie de vomir, un dégoût méprisable qui te pèse sous la langue. Tu t'interroges : " Cette ignoble mascarade fait-elle encore partie de Ses desseins ? "
Texte par Christophe Sambre


Illustration par Sébastien Gollut


Deuxième extrait


Evergrey


If there is life after death
There is no death
And if death not exist
We do not live
Evergrey


La forêt semblait à peine s'éveiller lorsque Wolveric se mit en marche. Quelques rares bruissements trahissaient la sortie d'un lapin ou l'envol d'une grive, mais seule la rosée paraissait s'intéresser au passage du guerrier. Assis sur la selle de Coursier, il jetait quelques coups d'œil aux alentours à la recherche d'un hypothétique gibier ou de quelques baies sauvages. Les temps étaient durs depuis sa fuite de la Cité aux Mille Tours. Son ventre le lui faisait trop souvent sentir. S'il l'avait souhaité, il aurait pu s'enfoncer plus profondément dans les futaies à la poursuite d'un lièvre, mais il n'en avait guère envie. La lassitude le gagnait depuis quelque temps. S'il n'avait tenu qu'à lui, il aurait certainement mis fin à ses souffrances. Mais la Mort lui interdisait le passage. Du haut de son trône séculaire, le Comptable des Ames avait trop besoin du vieux guerrier pour alimenter son Grand Livre. Chaque jour il l'observait, le stylet à la main, attendant la moisson prochaine qui ne tardait guère. Comme la Mort, la Malédiction qui poursuivait Wolveric ne semblait jamais prendre de repos. Il lui suffisait donc d'attendre patiemment. Et de la patience, le Sombre Receveur en avait à revendre ! N'avait-il pas l'éternité devant lui ?
Le vieux guerrier était plongé dans ses noires idées, lorsqu'un bruit insolite attira son attention. Un cri ! Un cri humain. Ou supposé. En ces layons de futaies et de sous-bois, le promeneur devait se méfier. Nombreux étaient ceux qui en avaient fait la douloureuse expérience. Les forêts de la région avaient la sombre réputation de n'avoir pas été désertées, comme tant d'autres. Si l'Homme avait en grande partie conquis les plaines alentours, il n'avait pas encore pu faire main basse sur les inextricables bois recouvrant les collines. Dans ces forteresses ligneuses, derrière ces épaisses murailles d'épines, de farouches vétérans de guerres protohistoriques montaient toujours la garde.
Tous les sens aux aguets, Wolveric tentait de situer l'appel, lorsque celui-ci reprit.
- Eh bien, mon vieux Coursier ! Je crois bien que l'aventure vient une nouvelle fois à nous.
Pour toute réponse, le cheval s'ébroua et se dirigea de lui-même vers l'origine de ce cri. Après tant d'années passées aux côtés de son maître, il avait appris à bien le connaître. Les ennuis n'étaient pas loin. Mais c'était une habitude. Le sang les appelait invariablement. Bientôt, il en avait la prescience, l'acier allait fredonner son chant de mort dans les pâles rayons d'un soleil avare ouvrant les chairs, brisant les os.
Sur son trône obscur, la Mort affûtait déjà son stylet. La récolte s'annonçait fructueuse.
Le cavalier avait à peine progressé dans l'épaisse futaie, qu'un concert de clameurs et de vociférations se mêla à l'appel strident. Visiblement, quelqu'un ou quelque chose était en danger. D'un léger coup de talon, il sollicita sa monture qui ne se fit pas prier pour presser une nouvelle fois l'allure. Les branches basses claquèrent sur le casque d'acier, cinglèrent la cuirasse, s'accrochèrent au fourreau élimé par les intempéries. Mais étonnamment, aucune ne se prit dans le lourd bouclier frappé aux armes du sombre glouton.
Soudain, la forêt s'ouvrit sur une clairière battue par de méchantes rafales. Coursier se cabra. Des relents de magie couraient entre les touffes d'herbes rases. Des volutes séculaires et d'autres plus légères peuplaient l'espace libre que dominait un vieux chêne. Wolveric comprit immédiatement que son équipée allait une nouvelle fois se heurter à forte partie. Il dégaina sa lame qui scintilla doucement avant de soupirer d'aise. Enfin, la nuit prenait fin pour elle. Cela faisait bien trop longtemps à son goût qu'elle moisissait dans sa gaine de cuir sentant le moisi.
Texte par Denis Labbé


Illustration par Patrick Méric